Quatrième extrait de "La dernière chance" .
Vers le milieu du mois d'août, alors qu'il ne me restait plus que deux petites semaines à passer là, intervint un événement qui allait changer du tout au tout le sens de ma vie.
Jusque-là, j'avais vécu un été saupoudré de raclées et d'engueulades, mais l'effet en avait été positif, puisque j'avais la ferme intention de ne plus revenir dans cet antre de malheur. Je me promettais de faire le nécessaire, c'est-à-dire rester tranquille. J'avais également appris à travailler vite, soigneusement, sans arrêt et cela m'avait bizarrement beaucoup plu. De plus, j'avais pris du muscle et perdu ma graisse de citadin. Ajoutez à cela un beau teint hâlé par le grand air et vous aurez l'image d'un superbe garçon au mieux de sa forme. Pour la première fois de ma vie, je me trouvais mignon. Autre effet positif sur mon estime personnelle.
Un après-midi, donc, je me vis assigné au rinçage et rangement des bouteilles destinées au cidre de pommes dont la récolte arrivait à grands pas. Je savais, pour l'avoir aperçu, que le grand-père prenait le frais sur la terrasse. Je me concentrai sur ma tâche et finis rapidement de remplir le charroi avec lequel je transporterais les bouteilles au cellier lorsque je m'aperçus que je n'avais pas la clé pour ouvrir la grande porte. Je partis à la recherche de Maurice, sans le trouver. Je n'avais plus qu'une chose à faire, aller voir le Vieux pour obtenir son trousseau. J'en serais quitte pour me faire une fois de plus rabrouer, je commençais à avoir l'habitude, ce qui ne m'empêchait pas d'en trembler d'avance. Or, pas plus de Sa Majesté que de neige au Sahara ! J'allais droit à la débâcle !
Je courus vers l'écurie et m'arrêtai net devant le spectacle du vieux saligaud en train de forcer Sophie, laquelle se débattait comme un diable dans l'eau bénite en gémissant à mi-voix. Mon sang ne fit qu'un tour, j'attrapai la fourche à fumier et me jetai sur le bougre.
Il me vit arriver et esquiva le coup sans toutefois pouvoir éviter le manche de l'outil qui le heurta violemment à l'épaule, le projetant lourdement au sol. Je n'avais pas, par contre, prévu que tout âgé qu'il fut, qu'il soit aussi souple… ce qui me valut de le voir se relever à la vitesse de l'éclair et de recevoir son énorme poing dans l'estomac; heureusement pour moi, le coup fut amorti par son déséquilibre et ne me coupa le souffle que très brièvement. J'eus à peine le temps de me relever qu'il s'était emparé d'une chambrière[1] qui traînait là et commençait à me fouetter sauvagement. Je n'étais plus capable d'éviter les coups aussi je lui fonçai dessus tête baissée, le faisant valdinguer par-dessus les bottes de fourrage. Je ne lui laissai pas le temps de se remettre sur pieds, je me saisis d'un pique à foin que je lui lançai de toutes mes forces, l'instrument pénétra profondément dans son bras. Le sang jaillit à flots, imbibant la manche de son veston.
Je restai pétrifié par ce que je venais de faire. J'entrevis Sophie s'enfuir, les mains devant
- Petit fumier ! Je vais te tuer !
Prenant mes jambes à mon cou, je décampai sans demander mon reste à la vitesse d'une locomotive, franchis les grilles du domaine et pris la route du village, toujours courant. Quelques minutes plus tard, la course folle m'ayant oxygéné le cerveau, ma panique se calma un peu et je m'écartai de la route en franchissant une haie. Je coupai à travers champs. J'étais bel et bien dans la mouise[2].
Je venais d'agresser un homme avec une arme, je l'avais blessé sans doute gravement puis je m'étais sauvé sans lui porter secours ! Je ne savais rien de la justice, à l'époque, et ne me revenaient en tête que les propos de mon père qui me disait que je finirais sur l'échafaud. Je savais d'instinct que la première place où l'on me chercherait serait la route et probablement
Mon père avait raison, j'étais vraiment un perdant, un malfaisant. Peu à peu, je retrouvai mon calme et me mis à réfléchir. Je n'avais pas d'argent, pas de papiers, j'allais devoir me débrouiller, remonter à Paris et tout expliquer à ma mère. Elle, elle saurait quoi faire.
Je continuai à travers champs en contournant
À la nuit tombante, je finis par rejoindre une grande route et, avisant la pancarte d'un relais routier, j'eus l'idée de demander à un chauffeur remontant vers la capitale s'il pouvait me prendre à bord. Je jouais de chance, car le premier camionneur à qui je m'adressai, après m'avoir toisé de la tête aux pieds, me proposa de me déposer à Versailles. De là, je savais pouvoir prendre un train de banlieue qui m'amènerait au centre-ville. L'homme me désigna un Iveco rouge et me signifia de l'attendre. Se ravisant, il m'attrapa par l'épaule.
- Dit donc, toi, t'es en règle ? Tu t'es pas enfui de chez tes vieux ?
- Non, M'sieur, on a simplement été emmener des chevaux puis j'ai juste manqué le rendez-vous…
- T'as faim ? Parce que je suppose que t'es fauché ?
- Ben, grand merci, M'sieur, mon père vous remboursera en arrivant !
- Non, non, pour cela, faudrait que j'te ramène à lui pis j'suis pas sûr que ce soit ça qu'tu veuilles. Non ?
- Ben si, M'sieur, si vous voulez, j'peux l'appeler si vous préférez ?
L'homme eut un instant d'hésitation puis se tournant vers la serveuse :
- Mélie, donne une omelette à c'te jeune là qu'on le ramène en état à son dabe[3]! Puis vers moi :
- ça t'ira ?
- Oui, M'sieur, merci !
Nous prîmes la route vers vingt et une heures et à minuit, le camionneur m'abandonnait face au château de Versailles non sans m'avoir refilé cinquante balles[4], afin, dit-il, de me payer un billet de train. Je restai debout sur le trottoir, mon billet à la main et vit le camion s'éloigner avec un petit serrement de cœur. Évidemment, plus question de train à cette heure-ci, j'allais passer la nuit à la belle étoile. Et pour tout arranger, il se mit à pleuvoir.
Je frissonnai en pensant à un bon lit bien chaud. Je revoyais sans arrêt le sang couler de la blessure d'Oscar. Je n'arrivais pas à effacer cette image obsédante. Qu'allait-il se passer ? Est-ce que je faisais bien de rentrer à la maison ? Qu'est-ce que je risquais ? Ne ferais-je pas mieux de filer et d'essayer de survivre dans une grande ville quelconque ?
Je savais pour l'avoir lu que de nombreux jeunes fugueurs vivaient dans des immeubles squattés, qu'il était extrêmement difficile pour la police de les retrouver ou de les identifier, qu'ils ne se faisaient prendre que lors des descentes dans les bars ou les hôtels de passe. Je savais également qu'il me serait probablement aisé de trouver un petit boulot chez des gens sans scrupules.
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