FANTÔMES Z' ET AUTRES ROMANS...

FANTÔMES Z' ET AUTRES ROMANS...

Cinquième extrait ...

Le narrateur prend contact avec son nouvel environnement: la rue... et cela implique de régler quelques petits détails tels que... manger, s'habiller... Alors, bonne lecture !


 

 

...C’était là que ma nouvelle vie commençait, commençait vraiment. Je n’avais plus un sou ! Je n’avais aucune idée de « où » coucher ni comment.  Mais j’étais jeune, libre, en bonne santé si l’on exceptait ma patte comme un ballon de football et couverte de sang séché. J’étirais le plus possible le temps à la terrasse en observant d’un regard avide la faune cosmopolite du Boulevard Barbès. 

     Ce ne serait pas cette nuit que j’allais chercher un logis ni même de quoi me changer. Je me remis à errer dans les rues avoisinantes en regardant de tous mes yeux, fasciné par l’étrange peuple de la nuit composé de prostituées, de mecs au teint basané et à l’air louche, de rabatteurs de boîtes de strip-tease et de noctambules en mal de sensations fortes. 

     Je jetai un œil curieux dans les boîtes où l’on étalait le sexe comme on étale le fric dans le seizième arrondissement. Je me fis houspiller par des videurs de boîte de nuit qui lisaient mon âge sur mon nez. Je finis par sauter une grille de square et me cherchai un banc lorsque j’entendis du remue-ménage dans le coin ou se dressaient les pissotières. Je m’approchai doucement lorsque quelqu’un me saisit par les bras et les bloqua dans mon dos. Je protestai vigoureusement, mais je n’obtins qu’un laconique « ta gueule ! » bien senti. L’on me propulsa brutalement contre un mur de céramique au milieu d’une innommable odeur de pisse. L’on m’envoya le faisceau d’une lampe torche dans la figure.

     - Qu’est-ce que tu fous là ? 

     Un autre homme s’adressa à moi.

     - On t’cause… t’es pas de la Mondaine[1]

     Le premier le reprit :

     - Non, trop jeune. 

     L’on me fouilla prestement.

     - I’a rien sur lui, laisse, c’t’un petit fugueur ou un p’tit vicelard[2].

     Me poussant d‘un geste brusque, mon agresseur me lança :

     - Casse-toi et reviens pas traîner ici ou on t’fait ta fête ! 

     Je ne me le fis pas dire deux fois et je me sauvai en clopinant au plus vite. Je trouvai refuge derrière un supermarché où s’empilait un paquet de cartons déchirés. Je m’allongeai à l’abri d’un conteneur à déchets en me couvrant avec les emballages éventrés, je pourrais au moins dormir un peu, demain serait un autre jour.

     Je me réveillai en fanfare au son d’un concerto en poubelles majeur délicatement flûtée par des éboueurs rigolards qui me langèrent un grand bonjour de leurs mains gantées. Mon corps ankylosé m’élançait et mon genou devenu obèse me refusait tout service. Voilà, ma foi, qui commençait bien la journée !

     Je me sentais fiévreux, mon ventre gargouillait horriblement. Si je ne me mettais pas des coups de pied quelque part rapidement, j’allais finir dans une benne à ordures lors de son prochain passage. Je descendis la rue en marchant péniblement.   Mon odeur corporelle commençait sérieusement à m’incommoder aussi décidais-je de me laver à n’importe quel prix. Compte tenu de mon apparence, je ne pouvais décemment pas entrer dans un restaurant, car j’allais me faire virer comme le malpropre que j’étais. J’optai pour la plus proche station de métro. Mais quand on a du mal à arquer[3], on dirait que quelqu’un prend un malin plaisir à déplacer les lieux les plus proches pour en faire des contrées inaccessibles.

     Quand apparurent, à l’horizon de mon ras-le-bol, les escaliers salvateurs, je poussai un « ouf » de soulagement et descendis les marches en m’appuyant lourdement à la rambarde de fer.

   J’aurais donné cher pour faire partie de cette marée humaine qui avait un but. Moi, je n’en avais pas. Ou plutôt si… j’en avais un. Sauf que j’ignorais lequel.  Car à part le besoin de me laver, de me sustenter et de trouver un logement, ce qui n’était pas des objectifs, mais des moyens de parvenir « quelque part », le « quelque part » en question me laissait un goût immonde dans la bouche. Sensation que je connaissais du reste fort bien, celle de la peur. Je dénichai les toilettes, mais il n’y avait ni savon ni eau chaude et pour toute serviette un rouleau essuie-main dont l’extrémité traînait sur le sol trempé de…? Je me rafraîchis un peu le visage et les mains, tentai tant bien que mal de nettoyer ma blessure qui virait au noir et revins à l’air libre. 

     J’avais besoin de manger, donc besoin d’argent; hum ! facile à dire ! J’essayais de faire la manche en demandant directement aux passants un franc pour pouvoir manger. Certains se détournaient en fronçant le nez d’un air dégoûté, d’autres me regardaient d’un air de pitié, d’autres comme si j’étais un objet incongru destiné à les détourner de leur chemin de besogneux à la petite semaine, ou encore placé là pour les empêcher de savourer leurs congés payés. Au bout d’une heure, j’avais quand même réussi à récolter six francs ! Mazette, mais c’était le Graal, le Nirvana ! J’allais me taper la cloche ! Euh… oui. Bon. Cela fonctionnait et par là même, je savais que je mourrais probablement un jour, mais en tout cas pas tout de suite, et pas de faim ni de soif ! 

     Je pénétrai, fort de ma nouvelle fortune, dans un petit café qui sentait bon le croissant chaud et la sciure fraîche. D’où je me fis sortir illico ! Il ne devait pas aimer les étrangers à moins que… mon fumet, peut-être ?

   Je redescendis l’avenue et finis par acheter des fruits à un éventaire extérieur. Le service édenté de la vieille marchande de quatre saisons me fit chaud au cœur. Je vis bien qu’elle avait été très généreuse. Allons ! le soleil brille, et il y a quand même des gens sympas.

     Je m’installai sur un banc duquel, tout en mangeant, je me mis à fureter du regard. Je fus soudainement hypnotisé par une paire de jeans et un maillot rouge (sans personne dedans) mis à sécher sur un appui de fenêtre. Voilà une chose qu’elle est bonne[4]! J’allais emprunter ces vêtements. D’accord, sans intention vraiment évidente de les rendre ! En gros, j’allais les voler. Oui, oui… les VOLER ! Sensation nouvelle pour moi, fils à papa élevé dans le seizième et (relativement) habitué à péter dans la soie. J’en avais des démangeaisons, sans blague ! Je crois que la simple idée du larcin, du tout premier larcin, m’a fait plus d’effet que de casser un camion de la Brink’s sept ou huit ans plus tard.   

     Je passai les deux heures suivantes à étudier les lieux, les possibilités de repli, etc.  Comme je ne pouvais marcher vite et à fortiori cavaler[5], je choisis un moment où le populo se bousculait sur le trottoir puis m’approchai subrepticement des objets convoités. Petit coup d’œil à droite, un autre à gauche… Go ! Une main qui se tend, décroche les fringues et fissa ! Ni vu ni connu, j’t’embrouille ! Je m’éloignai rapidement de mon pas de tortue, m’attendant plus ou moins à voir débouler une demie douzaine de voitures pie[6] toutes sirènes hurlantes et pleines de flics, mais balle-peau[7]! Quoi ? C’était juste ça ? Ouais… pas de quoi vous dégoûter du crime !  Qu’on ne vienne pas me dire que le crime ne paie pas !  Y en avait pour au bas mot vingt francs (!)

     Je trouvai un petit square avec pissotières du genre de celles de la veille (mais sans agresseurs !) et me changeai avec un soupir de soulagement. J’allais enfin pouvoir me chercher un logement et entrer dans un restau sans amener derrière moi une nuée de mouches, c’était déjà ça !

     En enfilant une rue après l’autre, je liai connaissance avec mon nouveau quartier tout en tentant de repérer les « fugueurs ». Je rencontrai bien quelques jeunots louches et désœuvrés, mais pas de « fugueurs »!

   Passant devant une pharmacie, je me décidai à y pénétrer et avisant une dame d’âge mur à l’air sévère, je m’approchai d’elle, mimant une souffrance épouvantable.

Je m’adressai à elle dans un souffle :

     - Pardon, Madame, je me suis blessé tout à l’heure, auriez-vous un peu de désinfectant et un pansement ? 

     Elle me fit asseoir sur un tabouret et me demanda de relever ma jambe de pantalon. Elle fit la grimace en voyant la blessure et resta la main en l’air, le coton au bout des doigts.

     - Tu es sûr que c’est récent ? 

     Elle me dévisageait d’un air soupçonneux.

      - Euh… non ça date d’hier… »

     Elle se rasséréna.

     - Tu as de la chance de ne pas avoir menti.  J’imagine que tu n’as pas d’argent pour payer ? 

     -… 

     - Tu es en fugue ? 

     Sans le savoir, elle venait de faire éclater mon petit monde de sécurité.

     - Ça se voit donc tant que ça ? 

     J’avais décidé de jouer franc-jeu.

     - Mettons que j’ai l’habitude et rassure toi, je ne préviendrai pas la police.   Ce ne sont pas mes oignons.   Et puis tu as quoi… quinze, seize ans ? 

     - Euh oui… seize ans. 

     Elle avait fini de panser la plaie et s’appliquait à me faire un bandage serré.

     - Je ne sais pas pourquoi tu t’es sauvé et ça ne me regarde pas, mais tu devrais peut-être penser à tes parents, ils doivent s’inquiéter… 

     Je répondis spontanément :

     - Je n’ai pas de parents, juste une famille d’accueil et mon « père » est un violent.  

     Je lui désignai ma jambe.

     - Pauvre enfant, dire que c’est possible de nos jours. 

     Elle soupira en se relevant et me regarda d’un air de compassion :

     - Le soir, vers six heures, il y a un autobus blanc avec des inscriptions noires « Fondation St-Joseph » qui stationne à Rochechouart, tu pourras au moins manger gratis. En plus, les religieux ne posent pas de questions, mais si tu as besoin d’aide, tu en trouveras là. 

     Après avoir remercié la bonne dame, je sortis de la boutique en pensant avec quelle facilité le mensonge sur mes parents était sorti. J’ignorais si elle m’avait cru, mais j’avais pris un air tellement angélique ! 



[1] brigade des moeurs

[2] vicieux, pervers

[3] marcher

[4] une chose qu’elle est bonne…expression typique.

[5] courir

[6] la police parisienne dispose de voitures noire et blanche

[7] rien du tout

 




23/01/2011
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