FANTÔMES Z' ET AUTRES ROMANS...

FANTÔMES Z' ET AUTRES ROMANS...

Fantôme en devenir...

FANTÔME
EN DEVENIR…

 

 

 

 

La vieille maison se dissimule sous les frondaisons.  Les hautes herbes, les arbres -- autrefois arbustes décoratifs -- ont tant poussé que leurs branches trop lourdes recouvrent totalement la barrière.  Si vous connaissez bien la propriété, si vous prenez le temps de chercher la grille rouillée aux armoiries depuis longtemps disparues, alors seulement vous
pourrez traverser l’entrelacs végétal et espérer entrapercevoir la demeure en
ruine.  C’est donc pour moi, pour mon état actuel, le refuge parfait, le seul lieu où je puisse désormais cacher ma nouvelle essence.  Je n’y suis pas encore habitué malgré les
presque dix ans passés.  Je ne m’y habituerai jamais.  Du moins, je le crois. Certains de mes coreligionnaires m’ont démontré que je n’étais pas différent d’eux -- quelquefois brutalement -- si tant est que la brutalité existe parmi nous. Celle-ci n’est pas physique, mais psychologique. C’est un mélange savamment dosé de haine à l’état pur, de méchanceté gratuite, de cruauté innommable. C’est cela et seulement cela qui fait que les humains nous craignent.  De mon vivant, j’étais passionné par les revenants et leur prêtais volontiers toutes sortes de raisons nobles ou romantiques pour hanter les lieux où les deux mondes s’entrecroisent.  Maintenant, j’appartiens à cet au-delà dont j’ai jadis voulu pénétrer les secrets et je n’y trouve plus aucun charme ni attrait.  Le pire étant que je me sens glisser vers le vide absolu, je file le long de la pente savonneuse qui m’éloigne chaque seconde un peu plus de mon restant « d’hommanité ».  Mes souvenirs s’effilochent, tout comme mes sensations…  ou plutôt le souvenir de celles-ci. Je me suis définitivement écarté de ma famille, de mes amis, de mes enfants.  Pour moi, le temps n’a plus de sens.  Il y a dix ans, maintenant, ou dans trois cents ans ne fait plus pour moi aucune différence puisque chaque instant est le même que le précédent et désespérément identique au cinq milliards de suivants.  Pour les vivants, le moment présent est le début du reste de leur vie et il emmène avec lui les douleurs en apportant l’oubli.  Mon Amour s’est remarié et file le parfait bonheur, mes enfants sont à leur tour des parents, mes amis ne lèvent plus
leurs verres à ma santé. Aujourd’hui, on ne m’évoque plus qu’exceptionnellement
et j’en souffre.  Sauf que je ne peux même plus accrocher à cette douleur une émotion quelconque.  Juste de la colère.  Une immense colère.  Extrêmement dangereuse.  D’où mon retrait à l’écart de tous, humains et fantômes.  J’ai, si je peux dire, « emménagé »
dans cette baraque inhabitée depuis une cinquantaine d’années que j’ai connue
étant enfant, l’ayant parcourue dans tous les sens avec mes copains en jouant à
nous faire peur.  La seule et unique chose dont j’ai besoin pour vivre -- ou plutôt devrais-je dire traverser le temps -- c’est la nature.  Celle-ci m’apaise, mais je sais bien que ce ne sera plus le cas bien longtemps,  car je commence à devenir agressif et vindicatif.   Les
derniers brins qui me rattachent à mon ancienne vie sont en train de lâcher les uns après les autres, dans une spirale descendante toujours plus rapide.  Je prends dorénavant un plaisir sadique à sortir à la nuit tombée pour aller jouer des tours de plus en plus malveillants aux habitants – jeunes et vieux, enfants et adultes, sans distinction ni pitié
-- des villages voisins.  Je commence à rire de leur terreur et je suis à la veille de passer à des actes potentiellement blessants, voir meurtriers. Je m’en réjouis d’avance… mieux, je
m’en délecte tel un chat devant une jatte de crème.  Je sais ce qui m’a définitivement coupé de mes bonnes intentions.  C’est cette rencontre que j’ai faite il y a quelques nuits en me promenant dans les caves de ma « résidence ».  Avec un rat.  L’animal m’a fixé de ses petits yeux cruels.  Il a su spontanément ce que je suis.  De quoi je suis fait.  D’instinct, il a compris qu’il ne pouvait rien contre moi.  Tout comme il a senti que je ne lui ferais aucun mal.  L’être humain ne croît pas en moi.  Il rit de moi.  Le rat, lui, compte avec moi, ne me
craint pas.  Nous pourrions nous allier, lui et moi, rejoindre les ombres des ténèbres et détruire ce monde puant de vie qui nous entoure.  Je sais, nous savons tous les deux que nos nuits à venir ne seront plus que plaies, mort et désolation. Cette douleur infernale que je ressens depuis ma mort au creux de ce qui a été ma poitrine a laissé une empreinte tellement profonde qu’elle a fini par gagner la bataille de l’Amour et de la Haine. Maintenant,  l’heure est venue pour moi de rejoindre la cohorte de démons hurlants qui hanteront à jamais les pires cauchemars des pauvres humains. Tremblez, maintenant, car votre fin sera terrible…



22/01/2013
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