FANTÔMES Z' ET AUTRES ROMANS...

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Disparitions à Eilean Mor (nouvelle)

Disparitions à Eilean Mor

 

  

 

   La tempête est passée, enfin… le calme est revenu depuis deux jours.  Le phare et son bâtiment ont cessé de craquer. Le vent a fini de hurler et la pluie de raviner le sol le long du sentier qui mène au quai. Thomas se sent moins oppressé.  Il allume sa pipe et regarde l’horizon.  La mer est encore un peu houleuse, mais au moins, il la connaît et il ne la craint pas, ayant passé presque toute sa vie à la parcourir dans tous les sens.  Il ne sait pas pourquoi il a accepté ce travail peu gratifiant dans ce phare isolé au milieu de nulle part. Il sait seulement que c’est bien payé, qu’il en a besoin pour vivre et qu’à son âge, il doit se compter chanceux d’avoir été recruté. Quoiqu’il sache aussi que les candidatures ne se sont guère bousculées au portillon, sans doute cela est-ce dû aux « rumeurs » qui courent sur le continent concernant l’îlot, mais il a délibérément refusé d’y prêter l’oreille. Pour l’heure, il se demande s’il a eu raison, si ce n’est pas surtout la peur de manquer d’argent qui l’a poussée à accepter ce poste.

   Heureusement, on est le 15 décembre et l’Hesperus arrive le 21 décembre avec à son bord Joseph Moore qui revient de congé, ce qui veut dire que dans moins d’une semaine, ce sera son tour de quitter ce lieu qui lui fout la trouille afin de prendre deux bonnes semaines d’un repos bien mérité.  Car n’allez pas croire que l’on se repose sur Eilean Mor.  Chacun a des tâches précises à effectuer avec chaque jour un rôle différent. Cela va de l’entretien du matériel de signalisation à la réparation du bâtiment en passant par la cuisine et même la couture.  Aujourd’hui est le jour qu’il préfère, car c’est celui de la popote et du ménage.  Il l’aime, cette journée, car il n’a pas le temps de penser. Et puis de toute façon, comme ça, il est au chaud, ses os souffrent un peu moins de l’humidité ambiante, donc cela lui procure un semblant de répit qui est le bienvenu.

   Revenu dans l’immense cuisine, il met des bûches dans le foyer et commence à préparer le souper. Ce soir, au menu, soupe de poisson du jour pris de la grève et patates à l’eau. Durant ce temps, Donald s’occupe de nettoyer la lentille du phare et de compléter le niveau du carburant qui va alimenter la flamme, le pire travail qui soit sur cette île.  Quant à James, il devrait revenir du débarcadère dans quelques minutes et faire  sur le livre de bord le compte rendu des dégâts occasionnés par l’ouragan.  Une demi-heure s’écoule sans que le cuistot lève la tête. Au moment précis où il accroche la marmite à la potence de la cheminée, il se fige d’un coup. Quelque chose va arriver, il ne sait ni quoi ni comment. Il le sent, c’est tout. Une rigole de sueur froide coule entre ses omoplates. Un craquement sinistre suivi d’un hurlement lui fait lever la tête, son cœur bat la chamade, il ouvre la porte qui mène à l’escalier dont on se sert pour rejoindre le sommet de la tour.  Il appelle d’une voix forte. Aucun signe de vie. Curieusement, il fait un froid polaire dans le couloir.  Pas de lumière, l’obscurité totale règne alors même que Donald aurait déjà dû procéder à l’allumage. C’est bizarre, car les règles sont strictes et son collègue est très à cheval sur le règlement. Imaginez si un manquement au service amenait un navire à s’écraser sur les rochers ? Il hèle encore puis se décide à grimper l’escalier, prudemment, marche après marche.  Il interpelle à nouveau, il crie presque… Aucune réponse, mais soudain, une silhouette qui déboule, se jette sur lui, le bouscule et franchit en trois bonds la cuisine pour disparaître par la porte extérieure ouverte à la volée, sans même enfiler son vêtement de pluie.  Il se relève, une odeur épouvantable règne dans le corridor sombre.  Cette odeur et ce froid sont exactement les mêmes que ce qu’il a ressenti la veille en se promenant dans les ruines de la chapelle où selon la légende, St-Flannan aurait vu Dieu… légende ou réalité ?  Il ne le sait pas et il ne tient pas, pour le moment, à le savoir.  Il aimerait mieux comprendre pourquoi Donald courait comme s’il avait le diable à ses trousses…Il a beau avoir l’angoisse au ventre, il en a quand même vu d’autres, aussi lève-t-il la tête vers le haut des marches, fait deux pas de plus et ce qu’il voit lui ôte d’une seul coup toute capacité de raisonnement, il est envahi par une terreur irraisonnée et comme son comparse peu avant, traverse le bâtiment en hurlant, court à perdre haleine sur le chemin pierreux et arrive sur le quai dont les rampes de métal ont été tordues par la tempête, il n’y a plus personne… Il tourne sur lui-même comme un fou, les yeux exorbités, à la recherche d’une échappatoire, d’un refuge, de… de… quelque chose qui pourrait lui sauver la vie ! Mais il n’y a rien. Juste un ciré jaune qui flotte à quelque distance du rivage… que Thomas reconnait comme celui de James, il le sait à cause de la grosse pièce grise qui rapièce le vêtement. Un cri encore… plutôt un hurlement qui lui glace le sang.  Il se retourne d’une pièce, Donald est là-haut, sur la falaise, debout le dos à la mer et quelque chose se dirige vers lui, une ombre énorme, noire, qui semble trainer avec elle tous les maux de la terre et cette chose se déplace en faisant plus de bruit que la pire tempête à laquelle le vieux marin a assisté sur tous les océans de la terre. Rien ni personne ne pourra jamais effacer en lui l’image de cette horreur. Lorsque la silhouette se trouve acculée à l’extrême bord du précipice, le silence se fait. Pendant quelques instants, le temps semble s’être arrêté. Puis c’est la chute d’un corps qui s’enfonce dans la mer où il reposera à jamais.

   Seul survivant de cette tragédie à laquelle il ne comprend rien, Thomas sait que ce sera la dernière image qu’il emportera dans sa tête… Il ne lui reste plus qu’une seule chose qu’il puisse faire. Il s’agenouille face à l’océan, fait une prière ardente, les yeux vers le ciel. Derrière lui, la chose se meut lentement et bruyamment. Il se relève, soudainement redevenu serein, et enjambe le muret, puis se jette dans l’eau noire où il se laisse couler, emportant gravé dans sa rétine le secret d’Eilean Mor…

 



01/07/2011
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