FANTÔMES Z' ET AUTRES ROMANS...

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Accident.

Accident…

 

 

 

 

  
Il fait chaud.  C’est un peu normal, le 27 juillet...et ça fait du bien parce que les trois dernières semaines ont été quelque peu humides.  Le mois de juillet le plus mouillé de ces dix dernières années.  Je marche sur le bas côté, un pied sur la route et l’autre dans l’herbe récemment coupée. 
Je ne suis pas fatigué.  Je ne le serais jamais plus, hélas.  Le ciel est bleu, magnifique, le soleil brille, ses rayons cognent et je ne les sens pas.  Je marche un pas après l’autre,
sans penser.  Je ne dois pas penser.  Surtout pas.  Je suis seulement triste.  Très
triste.  Cela fait maintenant plusieurs heures que j’arpente le bitume et je sais d’ores et déjà que je ne vais nulle part.  Où plutôt je ne veux aller nulle part.  La seule direction qui me soit permise est justement la seule que je n’emprunterais pas.  Car j’ai le choix, j’ai encore la liberté de choisir.  Pour combien de temps ?  Je l’ignore. On ne me l’a pas dit.  Le temps n’a plus aucune importance.  Il passe et c’est tout.  Je n’ai rien à faire, donc
je retourne encore et encore sur les lieux de … Je n’arrive même pas à le
dire.  J’ai eu un gros problème.  Le plus gros problème que je n’aurai jamais.  Autant vous le dire tout de suite, je suis mort…  bêtement.  Comme tant d’autres. 

  Ce n’est pas une catastrophe, à l’échelle de la planète.  Je n’étais après tout qu’un milliardième de milliardième de poussière dans l’univers. 
À la minute où je suis mort, combien de centaines ou de milliers de personnes se sont-elles éteintes ?  Et combien sont nées ?  Non, mon décès accidentel, quoique prématuré, n’est pas une tragédie.  Sauf pour moi-même, pour mes parents, pour mes amis.  Peut-être aussi un tout petit peu pour le voisin d’en face et mes copains de travail.  Un peu moins pour les habitants de la rue d’à côté.  Un simple entrefilet dans le journal, quelques mots aux actualités télévisées pour le reste de la petite ville de 2500 habitants où je vis, pardon, où je vivais…

  Tenez, c’est là.  Regardez.  Ouvrez grand vos yeux et vos oreilles, élargissez vos narines et humez profondément. C’est agréable, non ?  Une jolie petite route de campagne bordée de champs de blé, avec une belle bande de gazon vert qui descend tranquillement vers un fossé profond tapissé de roseaux.  La municipalité voisine a fait couper l’herbe
mais les quenouilles ont été épargnées, sauf par mon bolide qui les a littéralement pulvérisées…  C’est simple, sur plus de cent pieds, seules les tiges subsistent ! Leurs têtes gisent tout au long de la pente herbeuse, coupées aussi proprement qu’à la faucheuse.  Si j’avais le goût d’en rire, j’irais bien proposer mes services de tondeur d’herbe à grands coups de Honda Civic boostée à l’os !  Mais voilà, je n’ai pas envie de blaguer, en tout cas pas pour le moment et probablement plus jamais…

  Si j’ai compris que je n’étais plus, je n’ai pas encore mesuré l’étendue de mon désert.  Je ne sais pas encore que
l’éternité n’a pas de fin   Je ne sais pas non plus de quoi va se composer mon avenir. 
J’ai encore à l’esprit mes pensées d’être vivant, j’ai encore ma mémoire d’homme.  Vais-je la conserver ?  Que vais-je devenir ?  Autant de questions mais aucune réponse.  Et je vais devoir vivre ma mort avec cela, je le crains. 

  J’ai assisté de loin, sans trop comprendre ce que je voyais, à l’arrivée des secours, aux manœuvres de désincarcération puis aux inutiles tentatives de réanimation. J’ai survolé la scène, après, quand tout a été fini. J’y ai vu deux hommes aux visages tristes déposer un corps, le mien, sur une civière, une couverture grise pardessus, puis charger le tout dans l’ambulance, celle-ci s’éloignant, sans gyrophares ni sirène…  Sans tambour
ni trompettes.  Ma mort n’est pas bonne.  Elle ne profite à personne.  Elle ne servira même pas d’exemple.  Dans un an ou deux, on ne s’y référera plus.  Sauf mes parents et mes amis très proches, tout le monde aura oublié.  La douleur se sera estompée, les quenouilles auront repoussées.  Ma petite auto, mon cercueil roulant, ne sera plus qu’un cube de tôle.

  Quand mes copains ont défilé, hier, aujourd’hui… ou bien étais-ce demain…?  J'ai fait.. quoi...? Le temps semble maintenant s’estomper, mon esprit n’est plus aussi clair. 
J’ai ressenti une terrible bouffée de douleur, comme si, d’un seul coup, j’avais compris où je me trouvais, dans quel univers j’évoluais. Une seconde et puis plus rien… plus de blagues, plus de sorties, plus de joie, plus de sensations ni d’émotions… envolées ! Le temps d’un hurlement de métal dans la nuit, d’une embardée sauvage…

  
 Ça y est. Je ne touche même plus le sol.  Je flotte, je m’éloigne de mon calvaire. 
Ma blonde est là, en bas, avec ma mère. Elles pleurent toutes deux, dans les bras l’une de l’autre, mes deux frères les entourent, silencieux et l’air hagard.  Je voudrais leur dire que… quoi ?  Que je les aime ?  Que je regrette ?  Je ne peux pas.  Il est trop tard.  Un couloir lumineux s’est ouvert quelque part au dessus de moi.  Quelqu’un me fait
signe.  J’ai froid. La lumière chaude qui semble couler comme de l’or en fusion m’attire. 
Je voudrais parler, mais c’est fini, il est trop tard, je ne sais pas comment, mais je le sais, je ne pourrai plus jamais.  J’aurais dû y penser plus tôt.  Genre hier soir.  Après ma 5ème bière.  Quand j’ai frappé mon chum qui voulait me prendre mes clés…



22/01/2013
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